Source : Le Grimoire des Pays d’Huriel, Cercle d’Histoire Vivante, 1997.
Un haut-lieu de la présence celtique dans le canton d'HURIEL est bien SAINT-REMY, dans la commune de SAINT-SAUVIER. Cette affirmation ne manquera pas de surprendre, alors examinons ce qui nous permet de la formuler.
En commençant par les travaux du docteur PIQUAND, une fois de plus :
"Lors de l'avènement du christianisme, les apôtres s'élèvent vivement contre le culte des pierres qu'ils qualifient d'idolâtrie et de dévotion satanique. Ils proscrivent ce culte de façon formelle et ordonnent la destruction et l'enfouissement des pierres vénérées. Un grand nombre de mégalithes furent alors renversés et détruits, mais ceux qui étaient trop volumineux ou situés dans des lieux trop sauvages, demeurèrent en place et continuèrent à être l'objet de dévotions et de pratiques religieuses. Aussi, ST MARTIN, voyant qu'il ne pouvait détruire ces pratiques, décida de bénir les mégalithes et de les consacrer au culte catholique, de sorte que les premiers chrétiens adorèrent la croix plantée sur les anciennes pierres druidiques.
Dans notre région, St MARTIAL le premier fit sculpter trois grandes croix sur les mégalithes de TARICUM et célébra la messe sur la pierre druidique de l'ancien oppidum gaulois qui, à dater de ce moment, prit le nom de TOULX SAINTE CROIX. Suivant cet exemple, Saint REMY et Saint PALAIS firent sculpter une croix sur un grand menhir qu'ils consacrèrent au "Saint Sauveur" qui aujourd'hui encore y est honoré sous le nom de Saint-Sauvier.
Opinion partagée par George Sand elle-même qui dans "Promenades autour d'un village" écrit ceci :
" Lorsque le christianisme s'introduisit dans les campagnes de la vieille France, il ne put vaincre le paganisme qu'en donnant droit de cité dans son culte à diverses cérémonies antiques pour lesquelles les paysans avaient un attachement invincible. Tels furent les honneurs rendus aux images et aux statuettes des saints placées dans certains carrefours, ou sous la voûte de certaines fontaines lustrales, ou lavoirs publics. Nous voyons, aux premiers temps du christianisme, des pères de l'Eglise s'élever avec éloquence contre la nouvelle coutume idolâtrique d'orner de fleurs et d'offrandes les statues des dieux. Plus spiritualistes que ne l'est notre époque, ils veulent qu'on adore le vrai DIEU en esprit et en vérité. Ils proscrivent les témoignages extérieurs : ils voudraient détruire radicalement le matérialisme de l'ancien monde.
Mais avec le peuple attaché au passé, il faut toujours transiger. Il est plus facile de changer le nom d'une croyance que de la détruire. On apporte une foi nouvelle, mais il faut se servir des anciens temples, et consacrer de nouveau les vieux autels. C'est ainsi qu'en beaucoup d'endroits les pierres druidiques ont traversé la domination romaine et la domination franque, le polythéisme et le christianisme primitif sans cesser d'être des objets de vénération, et le siège d'un culte particulier assez mystérieux, qui cache ses tendances cabalistiques sous les apparences de la religion officielle."
Monsieur BOUDANT, dans son ouvrage "Les sanctuaires de Marie", écrivait de son côté :
" Dans un hameau appelé Saint-Rémy, dépendant de la paroisse de SAINT-SAUVIER, près d'une source renommée, existait une chapelle sous le nom de Notre Dame des Pierres, ou s'établit un pèlerinage qui avait lieu tous les ans le 24 juin."
Cette chapelle de Notre Dame des Pierres était ce qui restait d'un ancien prieuré fondé par les seigneurs de la Roche et donné ensuite à l'abbaye de Notre Dame des Pierres, de l'ordre de Citeaux, située sur la paroisse de SIDIAILLES, Cher.
Voici maintenant comment la légende a rapporté la fondation de Saint-Rémy :
"Un pieux religieux, du nom de Jean, qui baptisait à Jarges, ayant voulu briser une pierre druidique qui était l'objet d'un culte idolâtre, fut chassé par la méchanceté des habitants voisins, et vint se retirer près de la fontaine. Il s'y bâtit une cellule et ensuite fonda un prieuré qu'il mit sous la protection de Saint-Jean, son patron ; et c'est pour cela que le pèlerinage se fait toujours pour la Saint Jean."
"Non loin, il y avait une grande pierre druidique qui était encore l'objet d'un culte et de dévotions superstitieuses ; le bon ermite la consacra au culte catholique et y fit sceller une croix pour que celle-ci fût adorée à la place de la vieille pierre. De nos jours la croix a définitivement remporté --la victoire, car elle se dresse encore à la croisée des chemins tandis que le vieux menhir qui la supportait a disparu depuis longtemps."
C'est là, tout près de cette croix, que Saint-Rémy, poursuivant en cela le travail du religieux appelé Jean, fit creuser les fondations d'une église et demanda aux habitants de la placer sous le vocable du Saint-Sauveur, leur promettant que non seulement le rédempteur sauverait leur âme, mais encore qu'il les défendrait contre les invasions et les orages. Plus tard, la chapelle fut dédiée à Saint-Rémy lui-même.
Ce pèlerinage auprès d'une source antique, bel exemple de la survivance de la tradition celtique, a existé jusqu'en 1828, année où les autorités ecclésiastiques décidèrent de le supprimer. Dans l'Allier Pittoresque, JOLIMONT en donne la description suivante :
"Au milieu des fêtes, des plaisirs, des bombances en tout genre, la foule des pèlerins se portait auprès d'une mare, formée par l'eau de la fontaine et plus de cent femmes, les jupons retroussés barbotaient dans cette eau boueuse, troublée par leurs piétinements, s'en lavant les jambes, les bras, les épaules, les seins ; c'étaient de vieilles femmes, courbées, ridées, que la vie allait quitter : des jeunes filles dévorées par trop de vie, de nouvelles épouses qui y puisaient l'espérance ; des nuées de boiteux, manchots, perclus, aveugles, etc... s'agitant tous avec plus ou moins de foi, dans ce bain qui devait les régénérer. En 1827 ou 1828, l'autorité civile et ecclésiastique a défendu ce pèlerinage et interdit la chapelle."
L'Eglise avait dû remarquer que malgré les efforts déployés, elle était impuissante à enrayer la ferveur populaire pour une tradition immémoriale et que le culte des fontaines, -à son grand désarroi-était encore très vivace dans la région. D'ailleurs, malgré l'interdit, le pèlerinage devait se perpétuer quelques années encore. A son tour, Achille ALLIER dans l'Ancien Bourbonnais, nous le décrit en 1837 :
"Les fidèles se pressent aussi dans la chapelle, aux murailles nues, décrépites, noircies par la fumée des cierges, brûlant sur un triple cordon de fer. C'est là qu'après les ablutions d'eau glacée le voeu s'accomplit par de ferventes prières et de longues stations. Les pauvres malades, et ceux qui, oublieux d'eux-mêmes viennent les offrir à la pitié de leur créateur, demeurent accroupis sur leurs talons, dans une complète immobilité et prient des heures entières au milieu de cette atmosphère empestée par l'odeur de la graisse et la chaleur de la foule devant cet autel de bois, devant ces saints taillés par la hache d'un bûcheron ; devant ces grossières figures d'évêques qui s'effacent sur le mur humide et salpêtré ; venez chercher de ces groupes, pleins de douleur, de résignation et de foi, qu'une vive croyance révélait aux artistes du moyen-âge, l'enfant malingre, étendu muet et souffreteux sur les dalles, tandis qu'un rayon d'espoir passe sur le coeur ulcéré de sa mère. Cette pauvre mère ne peut croire que Dieu lui ait donné, pour le voir souffrir, son enfant qu'elle avait rêvé beau, fort et heureux ! Le vieux père relevant vers le ciel sa tête blanche, roule les grains du chapelet entre ses fortes mains calleuses qui, cinquante ans, ont fouillé la terre. Et, près de lui, son dernier enfant, la plus aimée de ses filles, pâle et penchant la tête sur une poitrine rétrécie. Partout la naïve confiance du malheur dans la justice de la Providence. Cette confiance que nous perdons au milieu de l'indifférence du bien-être et des jouissances d'une vie de volupté, nous qui, à une soudaine catastrophe, restons seuls devant le désespoir et le néant. Cette confiance qui se nourrit de dures épreuves, de privations journalières, et se fortifie par une lutte continuelle avec la nécessité."
En conclusion de son très beau récit, Achille ALLIER nous invite à méditer sur l'origine de ce pèlerinage : "Quant à la chapelle de Saint-Rémy, n'en resterait-il qu'une seule muraille, elle donnerait encore de la poésie à cette brande immense que bornent à l'horizon les grands bois et la double montagne couronnée d'une église chrétienne et d'un gigantesque monument de l'idolâtrie : comme si nos ancêtres, en plaçant leur adoration dans le désert, les vastes forêts, et sur les hauts lieux, avaient voulu laisser une idée de l'unité, de la grandeur et de la puissance de Dieu."
Que reste-t-il aujourd'hui de tout cela ? Il reste une petite fête, que l'abbé CHEVALIER, alors curé d'HURIEL avait tenté de relancer voici quelques années, pour la Saint-Jean. Jusqu'à la dernière guerre, c'était une fête populaire importante parce que c'était le jour où les "domestiques" changeaient de patrons, et l'on venait de fort loin danser et s'amuser à Saint-Rémy avant qu'un immense feu ne vienne terminer les divertissements de la ,..)urnée.
Mais qu'est devenue "la grande pierre druidique" que l'ermite Saint-Rémy consacra au culte catholique ?