Source : JEANGUIOT, N. (2000). SAINT-SAUVIER et le département de l'Allier. Le Grimoire des Pays d’Huriel, Cercle d’Histoire Vivante, p.12 – 15.
Saint-Sauvier se caractérise par sa situation géographique bien particulière à l'extrémité ouest du département de l'Allier. Cette localisation sous-entend que son histoire et tout naturellement son intégration au sein du département s'avéra difficile lors des premières années de la Révolution, d'autant plus que la constitution de cette entité administrative suscita bien des débats en cette même époque.
Autrefois partiellement en Berry, Saint-Sauvier se situait aux confins des trois provinces de Berry, Marche et Bourbonnais. Aucune topographie particulière ne délimitait les communes si ce n'est les lignes de partage des eaux, elle-même fluctuante au fil des siècles.
En 1569, Nicolas de Nicolay, géographe du roi Charles IX, rédigea une "description générale du Bourbonnais". Dans cet ouvrage, il décrit rapidement différents villages tels que Mesples, Saint-Palais, Saint-Sauvier, Treignat, Frontenat, Montebras...
Saint-Sauvier est dite paroisse d'outre-Cher située moitié en Berry, moitié sur le territoire de la chatellenie d'Hérisson, la frontière passant au Devet, à Gerboulon, à la Ville-Brûlant et aux Joberts.
La commune comptait à cette époque 43 feux sur sa partie bourbonnaise, laquelle était soumise à la juridiction du seigneur de Vieille-Vigne.
LES CHÂTEAUX DE LA ROMAGÈRE, VIEILLE-VIGNE ET SAINT-SAUVIER.
La Romagère fut, dès le début du XVIIè siècle, vers 1610, la propriété de la famille Le Groing, dite Le Groing de La Romagère, qui restaura et embellit le château. Cette famille locale marqua l'histoire régionale.(voir "Grimoire 1999").
Les Le Groing tenaient justice et châtellenie dans leur fief de Vieille-Vigne. Cette famille était alliée par mariage à un bourgeois de Saint-Sauvier nommé Démenytroux. En 1678, Vieille-Vigne devint propriété de la famille de Ligondès qui possédait Saint-Sauvier.
L'Âge était le siège de l'ancienne seigneurie de Saint-Sauvier. A la fin du XVIIè siècle, le fief et la seigneurie appartenaient aux frères Claude et Michel de Ligondès, seigneurs du Chezaud, écuyers. Puis, à partir de 1721, Gilbert le Groing devint seigneur de Saint-Sauvier. Cette seigneurie avait une certaine importance, disposant de justice et tabellion.
LA SEIGNEURIE DE LA ROCHE-GUILLEBAUT
La plus grande partie de la commune relevait autrefois du Berry où elle était soumise à la juridiction du seigneur de la Roche-Guillebaut qui y avait fondé le prieuré de Saint-Jean. Il faisait partie des seigneurs qui assuraient la sécurité dans la région.
Le champ d'action de la justice et de la châtellenie de la Roche-Guillebaut était surtout situé en Bourbonnais. Il comprenait la paroisse de Mesples et en partie celles de Saint-Palais, Sidyaille et Saint-Saulvier. On y ajoute La Chapelette (Saint-Eloy d'Allier) et Nocq (Chambérat).
Les justices de Vieille-Vigne, Huriel, Pallières, la Forêt Mauvoisin et Saint-Désiré dépendaient du Bourbonnais ; celles de Culan, Préveranges et Boussac du Berry.
La seigneurie de la Roche-Guillebaut s'étendait sur environ 75 Km2. Sa délimitation, au sud, allait de la chapelle de Saint-Rémy jusqu'au-delà de la route de Saint-Marien à Saint-Sauvier. Le château était excentré, à proximité de la frontière ouest.
LES DÉBATS SUR LA CONSTITUTION DU HAUT-CHER.
AVANT LA RÉVOLUTION
L'édit de Necker de juin 1787, mis en application par le règlement royal de 1788, visait à substituer une organisation plus rationnelle et notamment à constituer des départements.
Trois assemblées étaient conservées à des niveaux distincts :
- Au plan local, l'Assemblée Municipale, présidée de droit par le seigneur associé au curé et comportant trois ou neuf membres selon l'importance de la paroissse, devait, entre autres, répartir l'imposition entre les habitants.
- Au niveau intermédiaire, l'Assemblée Départementale dont le président était désigné par le roi était composée de délégués municipaux. Cette entité faisait apparaître la notion de département, lequel comportait quatre assemblées : Montluçon, Moulins, Gannat et Evaux. Celles-ci décidaient des travaux municipaux et de la répartition de l'impôt entre villes et paroisses.
- Enfin, l'Assemblée Provinciale, siégeant à Moulins, présidée de droit par la plus haute autorité ecclésiastique, était constituée de 15 membres désignés par le roi -trois pour le clergé, quatre pour la noblesse, huit pour le tiers-état- et de 15 délégués des assemblées départementales. Cette instance discutait avec l'Intendant des dépenses à engager et des recettes à percevoir dans la province (elle siégea peu, les Etats Généraux étant prévus pour mai 1789).
L'instance intermédiaire, l'Assemblée Départementale, devait déterminer les limites territoriales ; à cet effet, les délégués bourbonnais se concertèrent avec leurs confrères du Berry, de la Marche et de l'Auvergne.
Début août 1788, les Assemblées Provinciales ayant été instituées par le roi en Bourbonnais, cette province fut divisée en quatre départements, chacun d’eux dotés d'une Assemblée Départementale. Ainsi furent réunis le pays de Montluçon et la Combraille, Montluçon et Evaux.
Montluçon affirmait alors clairement son importance dans la province face à Moulins. Et, un an après l'annonce d'une nouvelle division territoriale, Montluçon revendiqua, dans un rapport du 28 juillet 1789, la qualité de chef-lieu de l'un de ces départements à constituer, lequel porterait le nom de la rivière qui baigne Montluçon : le Haut-Cher.
LA PÉRIODE RÉVOLUTIONNAIRE
L'Assemblée Municipale fut dissoute par la loi du 14 décembre 1789 et remplacée par le Conseil Général de Commune dont les membres ainsi que le maire sont élus, la commune remplaçant la paroisse.
En janvier 1790, l'Assemblée Constituante créa les départements, entités territoriales administratives, judiciaires et fiscales, soumises au contrôle des délégués du pouvoir central ; c'était la première étape vers la centralisation gouvernementale, centralisation renforcée par les Jacobins.
Le département fut alors divisé en districts groupant huit à dix cantons englobant les communes.
Pour le Bourbonnais, les conclusions furent rendues dans le rapport Thouret le 29 septembre 1789, rapport qui reprenait les limites des paroisses existantes. L'Assemblée Constituante examina le rapport de Thouret et allait l'entériner quand surgit l'opposition formulée par Montluçon.
Le député montluçonnais, Regnard, fut effectivement à l'origine de la première controverse lorsqu'il présenta à la tribune de l'Assemblée, en décembre 1789, les pétitions émanant des communes de Montluçon, Huriel, Saint-Sauvier, La Chapelaude, Nocq, Lamaids, Treignat, Saint-Désiré, Cosne, Gouzon, Commentry... Ces pétitions réclamaient la création d'un département du "Haut-Cher" composé de fractions du Bas Berry, du Bourbonnais, du Pays de Combraille et du Franc-Alleu dont le chef-lieu aurait été Montluçon.
L'Assemblée Constituante rejeta le projet et le département de l'Allier fut constitué en janvier 1790 ; Moulins en devint la plaque tournante. Il comptait sept districts et cinquante-neuf cantons. Mis à part quelques communes, il recouvre presque parfaitement notre ancienne province du Bourbonnais.
SAINT-SAUVIER : ALLIER OU CREUSE ?
A la fin du XVIIIé siècle, un débat anima la population de Saint-Sauvier ; en effet les habitants du village étaient confrontés à une situation peu confortable. Sa localisation entre Berry et Bourbonnais fut discutée car en 1790, lors de la décision de créer les départements, il fallut délimiter Bourbonnais, Berry, Marche et Auvergne.
L'appartenance incertaine de la commune de Saint-Sauvier était alors posée : Creuse ou Allier ?
L'accord entre les délégués du Berry et de la Marche avait séparé du Cher au profit du département de la Creuse la région de Boussac et de Leyrat.
Saint-Sauvier allait-il connaître le même destin ?
Le clocher de Saint-Sauvier qui était réputé interdire l'entrée du Bourbonnais aux sorciers marchois, se trouvait pour certains en Berry et la commune aurait dû de ce fait devenir creusoise lors de la constitution des départements en 1790.
Les délégués de Creuse souhaitaient ce rattachement en produisant un certificat du bailliage du Berry attestant que la paroisse de Saint-Sauvier ressortissait de longue date du Berry.
Le fond du problème résidait dans l'appartenance de ce village à l'Election de Bourges ou à celle de Montluçon ; l'examen des cartes des différentes époques est un vrai casse-tête, tous les avis divergeant. La topographie relevée au cours des XVIIè et XVIIIè siècles était tellement imprécise que la complexité de la situation s'en trouvait accrue.
Tantôt la frontière du Berry englobait complètement la commune, tantôt elle semblait traverser le village. Parfois, la commune appartenait au Bourbonnais mais relevait malgré tout de l'Election de Bourges.
Enfin, certains la situaient dans l'Election de Montluçon entre Berry et Bourbonnais alors que d'autres l'inscrivaient pour sa totalité dans le Bourbonnais.
En 1655, Mérian traçait un net crochet de la frontière du Berry vers l'est au niveau de Saint-Sauvier mais la position exacte du village ne pouvait être discernée.
La carte de Cassini levée entre 1683 et 1754, gravée à partir de 1750, faisait passer la frontière Berry-Bourbonnais au milieu du dessin symbolisant le village.
Jaillot, dans "La Province Du Berry", en 1707, situait nettement dans le Bourbonnais une enclave nord-sud tendue de Saint-Palais à Saint-Sauvier mais précisait l'appartenance de Saint-Sauvier à l'Election de Bourges. Dans sa carte du "Gouvernement Général Du Lyonnais" de 1721, il situait Saint-Sauvier dans l'Election de Montluçon, juste à la séparation entre Berry et Bourbonnais.
En 1753, Robert dans sa carte des "Gouvernements Généraux De Berry, Du Nivernois Et Du Bourbonnois", maintenait Saint-Sauvier en Bourbonnais avec une frontière passant juste à l'ouest de la RocheGuillebaut, de Viplaix, de Mesples et de Treignat.
Il manquait des éléments topographiques naturels pouvant aider à situer Saint-Sauvier, ruisseaux et rivières ayant des cours incertains.
La difficulté résidait également dans le fait que Saint-Sauvier comportait deux collectes fiscales -deux perceptions-, l'une relevant de Bourges, l'autre de Montluçon.
Un choix devait être fait. La position du clocher fut envisagée pour fixer définitivement l'appartenance du village. Le Comité de Constitution, en février 1790, s'appuyant sur le rattachement fiscal, proposait que la paroisse appartînt en entier au département de Guéret si son clocher était situé dans l'Election de Bourges, au département de Moulins s'il était situé dans l'Election de Moulins.
Aucune administration n'ayant pu déterminer l'implantation du clocher, le Comité de Constitution laissa se prononcer la population malgré les prétentions de l'Election de Montluçon.
C'est le 26 septembre 1790 que le Conseil Général de la commune sollicita à l'unanimité et obtint son incorporation dans le département de l'Allier, au district de Montluçon. La situation géographique alliée au bon sens de la population avait prévalu.
Saint-Sauvier devint alors chef-lieu de canton.
Il se raconte que les députés de l'Allier, à la Révolution, manoeuvrèrent habilement. Ils obtinrent l'érection de Saint-Sauvier en chef-lieu de canton en contre-partie d'un vote favorable au rattachement à l'Allier.
La loi du 28 Pluviôse An VIII (7 février 1800) confirma Montluçon chef-lieu de l'un des sept districts de l'Allier couvrant neuf cantons : Montluçon, Huriel, Saint-Sauvier, Saint-Désiré, Désertines, Estivareilles, Néris, Marcillat et Lignerolles.
Le canton d'Huriel englobait les ex-paroisses d'Huriel, Saint-Christophe, NeuveEglise, L'Argentière, Givrette, Domérat, Quinssaines, Saint-Martinien, Nocq, Onroussat, La Chapelaude, La Nage.
Le canton de Saint-Sauvier intégrait outre Saint-Sauvier les communes de Mesples, Saint-Palais, Treignat, Archignat, Frontenat et Lamaids.
Celui de Saint Désiré comptait Chazemais, Courçais, La Chapelette, Moussais et Viplaix.
La loi du 8 Pluviôse An IX (28 janvier 1801) supprima les districts, créa quatre arrondissements et réduisit le nombre de cantons de 59 à 23. Montluçon ne comptait plus que six cantons : Montluçon, Huriel, Cérilly, Hérisson, Marcillat et Montmarault.
Le canton d'Huriel fusionna avec ceux de Saint-Sauvier et de Saint-Désiré et compta 14 communes (qui sont identiques aujourd'hui).
En fait, le rattachement de Saint-Sauvier au département de l'Allier était motivé par des raisons autres que fiscales puisque rapidement districts et arrondissements allaient devenir des centres administratifs et judiciaires.
En 1790, l'intérêt était de choisir le centre le plus proche. La Généralité de Bourges avait été écartée. Celle de Guéret revendiquait Saint-Sauvier pour l'incorporer à l'Election de Guéret ou à celle d'Evaux. Moulins proposait sept Elections dont celle très proche de Montluçon. La topographie et le bon sens justifiaient le rattachement de Saint-Sauvier au département de l'Allier et au district de Montluçon.
Nicole JEANGUIOT